Pour cette commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918, un dépôt de gerbes au pied du Monument aux morts a lieu à 11h30.
Ce dépôt de gerbe est suivi d’un moment de recueillement. La commémoration du 11 novembre constitue un repère de la vie républicaine, dont il faut rappeler le sens à tous nos concitoyens.
Il y a quelques années, notre République a décidé, qu’en plus de commémorer l’armistice du 11 novembre 1918, chaque 11 novembre devait permettre de rendre hommage à tous les morts pour la France, toutes époques confondues.
Entre 1920 et 1925, les communes de France se couvrent progressivement de monuments aux morts, destinés à faire accepter l’inacceptable sacrifice consenti ou subi par chaque famille de France durant le premier conflit mondial, entre 1914 et 1918 : 1 400 000 soldats français, dont 120 000 bretons, sont tués, un tiers des hommes âgés de 18 à 27 ans disparaissent. 4 500 000 soldats sont blessés, à jamais dévastés dans leur chair et dans leur âme. 300 000 civils sont tués, le tout pour une population de moins de 40 millions d’habitants. Il faut ajouter à cet effroyable bilan le nombre des soldats portés disparus, pulvérisés ou ensevelis sans témoin au cours des combats, dont la mort n’avait pu être attestée. A propos de ces 250 000 à 300 000 soldats, Roland DORGELES écrira tristement dans roman Les Croix de bois, publié en 1919 : « Non, votre martyr n’est pas fini, mes camarades, et le fer vous blessera encore, quand la bêche du paysan fouillera votre tombe. »
Cette montreuse boucherie a immédiatement été suivie de la première pandémie des temps modernes : la grippe dite espagnole emportait en deux années 30 à 50 millions d’êtres humains dans le monde. Les cavaliers de l’Apocalypse poursuivaient leur chevauchée puisque dès 1929, éclatait la première crise du capitalisme mondial. En 1933, arrivait au pouvoir par les urnes la terrifiante idéologie nazie, qui précipitait le monde dans une guerre encore plus sauvage, marquée à jamais par l’extermination des juifs d’Europe et par l’entrée dans l’ère du feu nucléaire qui, après la tragédie d’Hiroshima et Nagasaki, nous a préservé jusqu’ici d’une nouvelle guerre mondiale mais nous menace toujours d’une épouvantable destruction mutuelle.
« La force de la cité ne réside ni dans ses remparts, ni dans ses vaisseaux, mais dans le caractère de ses citoyens » disait l’historien athénien Thucydide. Des tranchées de Verdun il y a plus d’un siècle aux pistes arides du Sahel aujourd’hui, nos soldats n’ont pas manqué, ne manquent pas de caractère. Ils se sont tant battus, au nom du peuple français. Honneur, courage, générosité et loyauté n’étaient pas, ne sont pas de vains mots pour eux. Il fallait du courage pour monter une nouvelle fois à l’assaut des tranchées allemandes, alors que les paquets de boue mêlés aux paquets de chair éclataient sous les obus. Il fallait de l’honneur pour refuser la défaite, rejoindre un général inconnu à Londres et se jeter ainsi dans le vide, comme on se jette d’un avion, muni de son seul parachute et de sa seule foi en son destin. En Indochine et en Algérie, alors que les vents de l’Histoire avaient déjà choisi, il fallait du courage et de la loyauté pour accepter d’obéir à des gouvernements aveugles, pour accepter de voir mourir tant de frères. Il a fallu recommencer au Liban, en ex-Yougoslavie, en Somalie, en Afghanistan, au Mali, en Irak ou au Niger. Avec parfois l’impression d’être loin des cœurs du peuple français, avec parfois l’impression de constituer un jouet entre les mains de gouvernements irrésolus et velléitaires. Alors, on se bat pour un drapeau, pour protéger sa famille. On se bat au nom d’un peuple français qui parfois nous oublie, on se bat en restant fidèle à une République qui parfois se comporte en mauvaise mère. Hier comme aujourd’hui, on se bat surtout pour rester digne, aux yeux de ses chefs, de ses subordonnés, de ses frères d’armes. Parce qu’on a la faiblesse de croire qu’en refusant de renoncer à sa propre dignité, on sauvera celle de son pays. Antoine de Saint Exupéry nous rappelle que « le soldat n’est pas un homme de violence. Il porte les armes et risque sa vie pour des fautes qui ne sont pas les siennes. Son mérite est d’aller sans faillir au bout de sa parole tout en sachant qu’il est voué à l’oubli. »
C’est cette longue cohorte d’âmes que nous honorons aujourd’hui. Beaucoup de ces hommes ont accepté de tomber pour que d’autres restent. Pour beaucoup, la mort a été l’accomplissement de toute une vie. Ces soldats sont morts d’avoir cru en notre pays. Comme sont morts d’autres hommes qui croyaient en notre pays, soldats d’outre-mer qui avaient fait un si long voyage pour venir mourir sur les champs de bataille de Champagne ou d’Artois. Les monuments aux morts de Dakar, Papeete, Bamako ou Pondichéry témoignent de la foi de ces hommes en la France. Comme ses hommes et ses femmes vietnamiens qui croyaient en notre pays et que la République a abandonné à leurs bourreaux vietminh avant de quitter l’Indochine. Comme ces harkis et leurs familles sur le tragique sort desquels la République a fermé les yeux à la fin de la guerre d’Algérie, en y ajoutant la honte d’accueillir en France de façon infâme ceux qui avaient échappé à la vindicte du FLN.
La honte est toujours là puisqu’il a fallu tout le caractère et la détermination de soldats français ayant servi en Afghanistan pour que notre gouvernement soit obligé de s’intéresser au sort des interprètes afghans de l’armée française, ayant pris les mêmes risques que nos soldats, et désormais menacés de mort, avec leurs familles, par les talibans.
Nos soldats tombés au combat sont pleurés par des pères, des mères, des épouses, des compagnes, des enfants, des frères ou des sœurs, à jamais meurtris. La République, elle, doit surtout honorer ses soldats. Les honorer parce ces braves ont consenti à un sacrifice qui reste extraordinaire pour un être humain, celui de donner sa vie pour une cause plus grande que soi.
Nous devons honorer ces soldats, car, avec d’autres, ils nous rappellent, que la France est une idée et une volonté. La France est l’idée que la dignité d’une femme ou d’un homme revêt une valeur absolue et universelle, non négociable, ni sur les cours de la Bourse, ni dans les supermarchés, ni dans les champs ou les usines. La France est l’idée que la fraternité et la liberté ne peuvent être soustraites à cette dignité. La France est la volonté de vivre ensemble, autour de ces valeurs communes de dignité, de liberté et de fraternité, autour d’une appartenance collective, autour d’un projet de société commun, comportant des devoirs et des droits, ouvert à tous ceux qui voudront y adhérer. Cette idée et cette volonté définissent notre nation, la France.
Aujourd’hui, certains projets ouvertement affirmés sont à des années-lumière de cette idée et de cette volonté. En France, comme partout dans le monde, se répand une autre pandémie, qui prétend que la dignité et la liberté des hommes et des femmes sont une simple opinion, soluble dans le marché, le profit, la race, le sang ou les croyances. Une pandémie qui affirme que la fraternité est une idée dépassée, que la volonté de vouloir vivre ensemble est une sottise, que les murs valent mieux que les ponts. Finalement, pour les promoteurs de ces projets maléfiques, l’idée même de démocratie est à détruire, après s’en être servie pour parvenir au pouvoir. Pour ces malfaisants, l’idée même de l’Homme est à détruire.
Nos soldats, nos enseignants, nos policiers, nos juges, nos soignants, nos travailleurs sociaux et beaucoup d’autres se battent, mais chacun de nous peut, tous les jours, agir pour que la dignité de chaque femme et de chaque homme redevienne une valeur cardinale, pour que chaque femme et chaque homme soit, de nouveau, rendu(e) à l’espérance du monde.
Nous le devons à celles et ceux que nous honorons aujourd’hui. Nous le devons à Hubert GERMAIN, dernier compagnon de la Libération disparu le 12 octobre 2021 à l’âge de 101 ans. Ce grand monsieur, qui avait durement combattu en Lybie, en Egypte, en Italie, en Provence et dans les Vosges, découvrant le camp d’Auschwitz, un matin d’hiver et de neige, bien des années après la guerre, fut saisi d’effroi et d’émotion. Ce jour-là, disait-il, devant les fours crématoires, devant l’image de tas de cheveux de femmes, de dents en or et de bijoux, devant les châles de prières juifs flottant au vent comme des fantômes, il avait compris encore mieux la cause pour laquelle il s’était tant battu. Hubert GERMAIN disait encore, il y a peu de temps, « quand le dernier d’entre nous sera mort, la flamme s’éteindra. Mais il restera des braises. Et il faut aujourd’hui en France des braises ardentes ! ». Hubert GERMAIN ne parlait pas des braises ardentes de la guerre. Il nous a désormais confié les braises ardentes de l’engagement et de la fraternité. Le lieutenant Hubert GERMAIN rejoint aujourd’hui, 11 novembre 2021, sa dernière demeure en présence du président de la République. Il reposera désormais pour l’éternité dans le dernier caveau de la crypte du Mont Valérien, aux côtés de résistants, de soldats de la France libre, de tirailleurs marocains ou sénégalais et de déportés.
Il y a quelques années, un soir de septembre, je devisais avec un vieux soldat qui allait quitter le service actif, après de nombreuses années durant lesquels il avait servi avec honneur et fidélité, participant à de nombreuses opérations dangereuses. Je l’interrogeais sur les raisons de son engagement à dix-huit ans. Il me répondit : « je cherchais le Frère ». Je lui demandais s’il l’avait trouvé. Son visage s’illumina : « Oui, vous êtes nombreux ».
« La fraternité est le parent pauvre de la République » a coutume de dire Mona OZOUF, historienne française née dans le Finistère, mais c’est un parent pauvre endurant. Le vieux soldat avait raison, nous sommes nombreux, ici et ailleurs.
Aroun PAJANIRADJA
11 novembre
La fin des combats de la Grande Guerre a marqué les consciences et imprégné les mémoires. Événement qui transcende le temps et franchi les générations. Nul besoin d’ajouter une année ou un millésime, ce jour et ce mois ont intégré depuis plus d’un siècle notre patrimoine commun.
A la onzième heure du onzième jour du onzième mois, après quatre interminables années, le canon s’est tu, la fureur s’est calmée. Le dernier mort, le dernier tir, la dernière détonation. Depuis Compiègne, où l’armistice a été signé à l’aube, jusqu’au front, du premier des clairons à tous les clochers de France, de l’esplanade de chaque ville à la moindre place de village. Une déferlante de soulagement, un soupir de délivrance, ont traversé le pays de part en part.
Dernière allégresse, derrière le tricolore flottant aux fenêtres et les Marseillaises triomphantes, partout le deuil, les blessures inguérissables, les ruines matérielles, morales et humaines qui se sont installés pour longtemps. Des mères et des pères qui n’ont pas retrouvé leur fils. Des fratries qui n’ont pas retrouvé leur père. Des épouses et des époux qui ont perdu l’être aimé.
Le pays est traversé par la sourde évidence que rien ne sera plus jamais comme avant.
En ce jour, dans les nécropoles, devant les monuments aux morts, sur les places de toutes nos cités, toutes les générations rassemblées, nous nous souvenons de ceux qui se sont battus pour la France entre 1914 et 1918, de ceux tombés au champ d’honneur sur tous les fronts, d’Orient et d’Occident. Nous nous souvenons du combat valeureux de ceux qui, venus des cinq continents, ont défendu un sol qu’il n’avaient auparavant jamais foulé.
Les noms gravés sur nos monuments aux morts nous rappellent constamment les valeurs d’honneur, de courage, de dévouement et de bravoure. Ils nous rappellent la fraternité d’armes.
La même fraternité unit toutes les filles et tous les fils de France qui œuvrent aujourd’hui à la défense de notre pays et qui mènent notre inlassable combat pour la liberté. La même fraternité mémorielle qui, chaque 11 novembre, nous réunit pour honorer les combattants de tous les conflits, pour rendre hommage à ceux qui ont accompli leur devoir jusqu’au don suprême. La Nation salue la mémoire des soldats morts pour la France en 2021.
Aujourd’hui, dans un même mouvement, la France reconnaissante fait cortège au cercueil d’Hubert GERMAIN jusqu’à la crypte du mémorial pour la France combattante au Mont Valérien. Selon la volonté du général DE GAULLE, l’ultime compagnon de la Libération y reposera. Dernier dans la mort, parmi les premiers de 1940, Hubert GERMAIN est le porte-étendard de 1038 illustres qui ont tant fait pour l’idéal de liberté et l’esprit français.
La flamme des compagnons s’est éteinte, mais nous sommes les dépositaires de ses braises ardentes. Entretenons-les sans cesse, ravivons-les inlassablement, en honorant ceux qui donnent leur vie pour la France, ceux qui la servent avec dévouement et courage.
Geneviève DARRIEUSSECQ